La manipulation …
Je suis née dans un environnement invalidant où je n’avais pas le droit d’être et de ressentir. Mais non, t’es pas triste… Arrête de brailler… Mais non c’est pas grave, tu t’en fais pour rien. Ben non voyons, le monde ne te rejette pas. Arrête d’inventer, tu dramatises voyons ! Y’a rien là ! Je n’avais pas le droit de pleurer, d’être fâchée, déçue, de me sentir rejetée, d’avoir peur et encore moins d’exprimer ce que je ressentais. Ce que je voyais, vivais et ressentais était toujours faux ou minimisé. Bref… ce n’était jamais assez important pour que l’on prenne soin de moi.
La manipulation, moyen de survie, s’est installée… Expression extrême d’une détresse refoulée. Puisque personne ne m’entendait et ne m’écoutait j’allais prouver à quel point ma souffrance était réelle. J’ai donc crié à l’aide avec les moyens qui attiraient systématiquement l’attention : mutilations, intoxications, consommation, fugues, menaces de suicide, etc. À qui voulait bien écouter, je parlais en long et en large de ma souffrance et de mon ras-le-bol. Puis, du moment que l’autre était conscient de ce que je pouvais faire, j’étais certaine qu’on resterait à mes côtés… qu’on ne m’abandonnerait pas. Enfin, les gens me tendaient la main.
Le jour où je suis devenue mère, j’ai refoulé toute ma détresse, mon manque d’habileté parentale et mon incapacité à gérer mes émotions. J’ai fait tout ce que j’ai pu, avec tout ce que j’avais (pas grand-chose !) et au final, j’ai craqué : incapable d’obtenir de l’aide, incapable d’en demander, incapable de m’auto-signaler à la DPJ, à bout de souffle, vidée, épuisée et l’actif comme seul moyen d’oublier que je ne savais pas comment être la mère que je souhaitais pour mes enfants.
J’ai manipulé, lancé mes bouteilles à la mer : j’ai reproduit exactement les mêmes comportements par peur qu’on minimise ma souffrance, qu’on l’invalide, qu’on refuse de m’aider. Tout ça car j’étais incapable de dire ces quelques mots si simples : «je n’en peux plus, aidez-moi». Ç’aurait été si simple, mais non… j’ai agit ma détresse. J’ai perdu mes enfants. Trop intense, trop malade, trop dans l’agir, trop en détresse. Manipulation ! Mécanisme de survie ! J’allais leur prouver qu’ils empiraient mon cas, que c’était leur faute, qu’ils étaient responsables de ma souffrance et que j’étais incapable de vivre sans mes enfants.
Oh que j’en ai perdu du temps… aux soins intensifs, en psychiatrie, en contention. Oui, en contention… parce que j’avais peur de me rendre au poste des infirmières et de dire «J’me sens pas bien, j’ai besoin de parler», «J’feel pas, j’ai besoin de ma médication svp». J’avais si peur que je manipulais… Je frappais les murs, je chantais à tue-tête… pour attirer l’attention, pour avoir ma médic… pour qu’on sache que je souffre. Manipulation.
Je sais aujourd’hui ce que tout cela était. Je le sais parce qu’au fil des partages que j’ai entendu dans NA,, au fil de toutes ces 12e étapes faites si généreusement par les membres, j’ai compris ce que je faisais. J’ai vu la roue tourner, je me suis vue aller : si ma détresse était belle et bien entendue il demeurait qu’à chaque fois que j’utilisais la manipulation pour obtenir de l’aide, je creusais mon trou plus profondément, jusqu’à perdre tout droit de contact avec mes enfants pendant près de 3 mois. Heureusement, avec le support de femmes merveilleuses, j’ai choisi de tenter la plus grande expérience de ma vie : m’exprimer et faire confiance.
Avec ces femmes, j’apprends à être mère sans être jugée pour mon passé. Avec leur écoute, je reçois conseils et expériences. Je tente d’appliquer mon mode de vie et doucement, une lueur éclaire la route de toute ma famille. Le rétablissement me permet lentement de me rapprocher de la femme et la mère que je souhaite donner à mes enfants.

Il y a une semaine, mes enfants et moi avons lancé une bouteille à la mer… Une vraie cette fois, à Percé. À l’intérieur, des dessins et des messages d’espoir et de gratitude envers NA. Car dans cette merveilleuse fraternité, je reçois l’attention et l’amour dont j’ai besoin. Je ne suis plus jamais seule, souffrante. Je n’ai qu’à dire que j’ai besoin de parler pour que quelqu’un m’offre une oreille attentive. J’ai le droit d’être triste, en colère et même d’être terrifiée. J’ai le droit d’avoir la chienne que mes pires craintes se réalisent car on m’a appris que même si mes pensées me jouent parfois des tours, mes émotions, elles, sont réelles.
Aujourd’hui, grâce à NA, je n’ai plus besoin de manipuler et de me faire violence. Je suis moi, je suis vraie ; j’ai le droit d’être et de ressentir.
Merci NA